Vous avez certainement aperçu ces fascinants visages irisés, lunettes 3D sur le nez, qui regardent passer les bateaux le long du canal. Ils sont signés Antoine Caramalli, un artiste bruxellois dont la spécificité est d’occuper l’espace public avec des œuvres qui questionnent notre usage de cet environnement urbain. Il nous a raconté qui étaient les visages qu’on retrouve sur son Big Molenbeek Show 2.
Ils ont accepté de poser pour ces portraits que j’ai installés sur le canal. Chaque photo d’habitant du quartier est ensuite devenue un dessin, imprimé en grand et accroché sur le canal. La séance photo a eu lieu lors de l’inauguration de la nouvelle passerelle devant le Mima. J’ai l’habitude de ce genre de projets participatifs, qui tournent souvent autour de la réappropriation de l’espace public par ses habitants. J’essaie, en tant qu’artiste, de leur donner une place qu’ils ne trouvent pas toujours dans les processus de changement de leur quartier. Dont ils sont ici littéralement spectateurs.
Quand tu décris Big Molenbeek Show 2 comme « le regard des habitants, immobiles et hallucinés face aux constantes transformations de leur quartier », c’est difficile de dire si ce regard est positif ou négatif...
Ni l’un ni l’autre. Mais il est clair que les projets immobiliers du quartier prennent rarement en compte la vie ou l’avis des habitants. Qui sont donc cantonnés à observer les changements qui interviennent autour d’eux. C’est rare que les habitants soient consultés. Mon projet permet donc aussi d’annexer un bout d’espace public, au seul profit de ses habitants cette fois. C’est l’émancipation qu’on recherche dans ces projets artistiques, la réappropriation de l’espace dit "public". Le tout dans le plaisir et les couleurs, avec ces portraits où chacun et chacune peut se reconnaître.
Pourquoi Molenbeek ?
J’ai débuté ce projet juste après les attentats. La commune était alors sous les projecteurs pour de mauvaises raisons, victime de beaucoup d’a priori négatifs. Je trouvais donc salutaire de mettre en avant ses habitants et sa diversité. D’autre part, j’habite et travaille ici depuis dix ans, et c’est un endroit où je me sens bien. J’aime les quartiers pleins de débrouille, où il y a beaucoup de gens qui viennent de cultures différentes et où on entend beaucoup de langues. Les gens y sont très sympa et souriants, et la vie de quartier est super chaleureuse, notamment grâce à la culture marocaine qui est très présente ici. Il y fait bon vivre.
Sur la gentrification qui s’opère à Molenbeek (et qui fait partie de ces divers changements que j’évoque), je suis partagé : d’un côté, ça permet clairement d’améliorer l’habitat urbain et la qualité de vie. Mais sur le long terme cela se fait au détriment des habitants, qui sont chassés et remplacés par d’autres habitants plus aisés, car les loyers augmentent et deviennent impayables pour les bas revenus.
Quel est le rôle des lunettes 3D qu’on retrouve beaucoup dans ton œuvre, et qui relient tous ces portraits ?
C’est un peu ma signature. Ces lunettes illustrent notre statut permanent de spectateur. Non seulement de la ville et du canal comme dans ce projet, mais aussi spectateur de manière générale, vu notre consommation effrénée des écrans. C’est devenu difficile de prendre part aux choses de la société et de la cité, dont nous sommes plus souvent appelés à rester de simples observateurs passifs. Il y a aussi un côté absurde dans ces lunettes, qui permettent de regarder en 3D une vie qui l’est déjà, multidimensionnelle.
Ce projet molenbeekois s’est retrouvé à San Francisco. Dans quelles circonstances ?
Je travaille avec Radical Playground, un collectif d’artistes anonymes qui font des collages dans l’espace public. Cette année, ils sont partis à San Francisco, et mes portraits se sont retrouvés, sous forme de carrelages ou d’affiches, un peu partout dans la ville, et notamment sur le mythique Golden Gate Bridge. C’était intéressant de créer un lien entre ces deux endroits et de faire voyager les visages de Molenbeek !
Découvre la vidéo ci-dessous, sur sa vision du street art.