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Chaque péniche que vous voyez passer sur le canal évite le passage de plusieurs centaines de camions dans les rues de Bruxelles. Et cela vaut également pour le Presagio, dont Rudy Willaert et son épouse, de véritables bateliers dans l’âme, sont les propriétaires depuis quelques dizaines d’années. 

Bien souvent, on ne devient pas batelier : on naît batelier

Il y a des familles dans lesquelles on est médecin ou professeur de génération en génération. C’est le cas également chez les bateliers. Ce n’est d’ailleurs pas très surprenant, vu la vie très particulière de celles et ceux qui passent toute l’année sur l’eau. “Bien souvent, on ne devient pas batelier : on naît batelier, confie Rudy. Ma femme et moi venons de familles qui étaient déjà dans le métier. Même si elle et moi avons eu un job sur la terre ferme avant d’embarquer.

Ils se sont décidés à monter à bord un an à peine après leur mariage. “ Nous connaissions bien les avantages et les inconvénients de la vie sur l’eau. On savait qu’on devrait mettre les enfants à l’internat, qu’on ne les verrait pas tous les jours… Mais le côté positif, c’est que nous-mêmes sommes passés par la case internat et que ça nous a rendus plus autonomes… Cela étant, nos trois enfants, qui sont adultes maintenant et qui ont eux-mêmes créé une famille, continuent désormais leur petit bonhomme de chemin. Quant à nous, nous tenons à cette vie sur l’eau et à l’indépendance qu’elle procure!

Bruxelles dispose de plusieurs avantages : sa situation centrale et la profondeur du canal

Être son propre patron

Le Presagio a une capacité de 3 200 tonnes, mais c’est en fait la destination qui va déterminer le poids du chargement. “Il faut un tirant d’eau suffisant. Celui-ci varie en fonction de chaque installation portuaire. Ici, à Bruxelles, la profondeur est suffisante. Mais ce n’est pas le cas partout ailleurs. Et il arrive qu’on doive limiter le chargement, car le tirant d’eau est trop faible à certains endroits.

Rudy gère lui-même sa clientèle et détermine donc sa semaine de travail : c’est lui qui décide s’il accepte un chargement ou pas. “Certains bateliers font appel à des intermédiaires, qui centralisent les commandes et puis les redistribuent en fonction des péniches disponibles. Nous préférons rester nos propres patrons, c’est important pour nous” confie-t-il avec un large sourire. 

À quoi ressemble une journée typique sur une péniche ? Eh bien, cela dépend de la commande du client. “ Exemple : nous avons actuellement une cargaison de sable à bord. Ce matin, nous avons démarré le déchargement à 5 heures. Avant d’entamer la manœuvre, nous devons nous assurer que la péniche est amarrée exactement au bon endroit et que le déchargement, qui est délicat et qui prend plusieurs heures, se déroule correctement. Dès qu’on a terminé, on va s’amarrer à Willebroek. Il nous faudra encore plusieurs heures pour nettoyer la cale et terminer l’entretien en attendant d’entamer la prochaine mission. Nous sommes secondés par un matelot, mais, mine de rien, ça nous fait vite des journées de boulot de 14 ou 15 heures” confie Rudy. 

Il leur est arrivé, par le passé, de traverser toute l’Europe. Mais pour l’instant, ils se concentrent sur des distances plus courtes. “Cela nous permet d’optimiser les trajets et de passer nos week-ends à la maison, chez nous à Evergem.” On le voit, la vie de batelier c’est avant tout une organisation minutieuse. 

Depuis le temps qu’ils travaillent, Rudy et son épouse ont vu le job évoluer. “Auparavant, beaucoup de bateliers étaient propriétaires de leur propre navire, et travaillaient pour leur propre compte. Actuellement, ils sont de moins en moins nombreux dans le cas. Ce sont essentiellement des entreprises qui sont propriétaires, et qui engagent ensuite les bateliers.” De même, la situation au sein même des différents ports a beaucoup évolué au fil des années, comme par exemple la raréfaction des quais de déchargement. “Heureusement, continue Rudy, ce problème n’existe pas à Bruxelles.”

Le transport de conteneurs par voie d’eau est en augmentation

Climat : c’est plus compliqué qu’avant

La dégradation des conditions météo a parfois rendu le travail plus compliqué. “Le brouillard et la neige, ce n’est pas grave, on fait avec. Mais la force du courant est parfois sous-estimée. Les orages sont plus violents qu’avant. Une navigation sur l’Escaut, en cas de très mauvais temps, ça peut s’avérer nettement moins facile qu’avant.

Tout cela est lié au changement climatique, une problématique qui concerne directement la navigation intérieure. “Celle-ci a en effet un rôle primordial à jouer pour faciliter un réseau de transport qui soit plus durable. Vous savez, ce sont les grues et les ponts roulants qui amènent les marchandises sur l’eau, à un endroit inaccessible pour les camions. Donc, heureusement qu’on est là. Prenez la seule entreprise Vemat ici à Bruxelles. Chaque année, nous transportons entre 100 000 et 120 tonnes pour eux, dont 50 000 jusqu’à Roeselare. Et je ne parle que de notre seule péniche,…! Vous imaginez le nombre de camions en moins sur les routes que ça représente ?”

A cet égard, Bruxelles dispose de plusieurs avantages : sa situation centrale et la profondeur du canal. “Grâce à cela, nous pouvons aller jusqu’à la charge maximale ce qui, au final, permet d’économiser des trajets. Le transport de conteneurs par voie d’eau est en augmentation, et c’est un progrès important.” 

Pendant la conversation, le Presagio poursuit sa route. “Notre péniche, c’est comme notre voiture : il faut qu’elle soit nickel et qu’elle blinque ! On l’entretient bien, avec respect. Et elle nous le rend bien !

Ne pas confondre navire et bateau !

Un bateau, ça a une voile. Ou un moteur. Nous on pilote un “navire”. Et si vous traitez mon Presagio de “bateau”, c’est presque déplacé, s’indigne Rudy. Et il a raison. C’est en effet la taille et la fonction qui va déterminer s’il s’agit d’un bateau ou d’un navire. Un bateau est généralement ouvert, de petite taille et utilisé comme embarcation de plaisance. Les navires, quant à eux, sont généralement plus grands et utilisés pour le transport de personnes et de marchandises.